La fête de SAMAIN

  La fête de Samain

Pour les Celtes, la fête de Samain récupérée par les Chrétiens existait longtemps avant La Toussaint. Elle annonçait le début d’une nouvelle année, l’entrée dans les mois noirs de l’hiver (miz du et miz kerdu). Le jour commence par la nuit.

C’était un moment de recueillement et l’occasion de se rappeler l’heureux passé avec nos disparus.

Les Américains avec leur grande finesse culturelle ont transformé en carnaval, l’héritage rituel importé par les émigrants irlandais. Ils ont même exporté dans leurs néo-colonies comme la Corée leur mardi- gras mercantile aujourd’hui appelé Halloween avec les conséquences tragiques que nous connaissons.

Pourtant chez les vrais Celtes on ne plaisante pas avec l’Ankou.

(Réplique de l’Ankou de Ploumilliau à l’Ile grande)

En Bretagne sa seule représentation lors des messes d’enterrement était macabre et a été retiré pour ne pas effrayer les enfants de chœur comme à Ploumilliau ; Samain était aussi l’occasion de transférer les ossuaires vers la fosse commune comme à Trégastel jusqu’au au XIXème siècle.

 

La fête de Samain est une période trop sérieuse pour la confier aux marchands de citrouilles d’Halloween

 

Quand l’ossuaire déborde on le vide

Le transfert des reliques à Trégastel imaginé par les peintres Carrier et Poilleux de Saint-Ange

l’un des dernier transfert raconté par Charles Le Goffic.

. Le récit qui suit que l’on retrouve dans plusieurs ouvrages dont les contes de l’Armor et de l’Arcoat de Charles Le Goffic résume assez bien ces traditions locales : « fixer le passé, nulle tache plus urgente en ce pays que le siècle emporte dans sa folle rotation. »

« Il y a un an de cela. Novembre était proche, et j’allais quitter le hameau côtier de Landrellec,

Jean-Marie Tanguy, hôtelier de céans, fine langue et profond psychologue, insista pour me retenir quelques jours encore dans son voisinage.

-Tout de même, me dit-il, vous avez peut-être tort de nous quitter si tôt. Ce que j’en dis n’est point pour vous coucher sur ma note une semaine de plus ; N’empêche qu’au bout du compte vous auriez vu ce qu’on ne voit que deux ou trois fois par siècle eu Bretagne.

-Et quoi donc ? Demandai- je alléché.

-Une translation de reliques, me répondit le subtil personnage

-mais la cérémonie a eu lieu, répliquai-je vivement. Vous êtes un mauvais plaisant, Yves-Marie, et je me rappelle fort bien qu’au Salon des Champs-Elysées, cette année même, un peintre qui se nommait Poilleux-Saint-Ange exposa une toile dont le sujet était justement celui dont vous parlez.

-Bon ! Riposta Tanguy. Encore quelque menterie de Parisien ! Ce monsieur aura entendu dire qu’on allait enterrer les reliques et il aura fait son barbouillage à l’avance. Demandez plutôt à M. le Recteur de Trégastel, où mieux allez voir vous même dans l’ossuaire : les reliques y sont encore.

Et c’était vrai. Les reliques y étaient. Quant au recteur (c’est le nom qu’on donne là-bas au curé), il m’assura bienveillamment qu’en effet la cérémonie n’avait pas eu lieu, qu’on attendait l’arrivée des Franciscains qui devaient prêcher la mission et qu’à l’issue de cette mission seulement on procéderait aux secondes funérailles. »

Les explications du recteur m’avaient décidé. Je l’annonçai à Yves-Marie et le gaillard en montra une satisfaction trop bruyante pour qu’il ne s’y mêlât point quelque arrière pensée d’intérêt. La semaine jubilaire s’ouvrit peu après, et ce fut une semaine sacrée, où la pêche et le labourage chômèrent dans toute la paroisse…

Ce rapport demande aussi une explication sur le tableau de Poileux de Saint-Ange exposé au musée de Saint-Brieuc et relatant à priori cette cérémonie. C’est un œuvre d’imagination à partir d’information obtenues auprès de vieux Trégastellois car cet évènement n’avait pas eu lieu depuis plusieurs décennies et Poilleux ayant du fournir le tableau pour le Salon de peinture et de sculpture de la société nationale des Beaux arts, il n’a pu attendre novembre pour être témoin des secondes funérailles. D’ailleurs les clichés des premiers photographes sont moins esthétiques que son œuvre.

Mais laissons Charles Le Goffic nous raconter la dernière cérémonie de cette coutume en 1896:

   L’étrangeté d’une telle cérémonie n’est cependant qu’apparente et les secondes funérailles mêmes s’expliquent par des raisons de contenance plus encore que par raison de sentiment.

Resserrés entre l’église et les bâtiments en couronnes autour d’eux, les petits cimetières de Bretagne ne peuvent contenir qu’un nombre infime de caveaux. Il ne s’y fait point, ou rarement, de concessions perpétuelles et ainsi, tous les cinq ans, il faut exhumer les anciens morts pour donner leur place aux nouveaux. Mais les ossements mis à jour, les reliques, comme on dit Bretagne, ne sont point enfouis aussitôt dans une fosse commune ; on les recueille dans des édicules de dimension variable, qui portent en quelques endroits le nom lugubre de charniers et, en beaucoup d’autres, celui plus touchant, de reliquaires. Karnel da lakat eskern an pobl : charnier pour les restes du populaire lit-on sur l’ossuaire de Saint-Eutrope, à Pencran.

Il n’y a d’exception que pour les édifices qui renferment un caveau spécial comme à Saint- Thégonnec et à Roscoff ; mais la plupart sont de-plain-pied avec le cimetière ; ils ne sont ni très hauts ni très larges et, quand la place vient à manquer pour y déposer de nouveaux ossements, c’est alors et de toute nécessité qu’ont lieu les secondes funérailles.

.Les choses ne s’étaient point passées autrement à Trégastel. Quoiqu’il s’y trouve, comme dans tous les pays côtiers, plusieurs fosses vides pour les marins disparus en mer et dont le souvenir est consacré par une inscription en lettres noires sur une croix blanche : « A la mémoire de X. QU Y. enlevé du bord de son navire ou perdu au large dans la tempête du… , ces fosses ne sauraient leur être longtemps attribuées. Les morts de la terre sont exigeants. On enlève la croix, qui est alors pendue au mur intérieur du cimetière ou dans l’église. Les morts eux- mêmes, au bout de cinq ans, sont exhumés, et leurs ossements placés dans le reliquaire. Il y avait près d’un quart de siècle qu’on n’avait vidé celui de Trégastel et les ossements débordaient jusque sous le porche.

Quand j’arrivai au cimetière, le samedi soir, les fossoyeurs travaillaient à creuser un grand trou contre la paroi du mur d’enceinte. Mais le rocher affleurait de toutes parts et il fallait gagner en largeur ce qu’on perdait en profondeur. Je m’étonnais de ces dimensions.

 -Songez donc, Monsieur, me dit un des hommes : cinq cents, peut-être mille trépassés: ça prend de la place !

Et il me montrait deux grands draps blancs étendus par terre aux deux côtés du portail et qui commençaient déjà à se couvrir de débris « – Liennou ann interramant, les linceuls des funérailles, me dit.il Je me retournai pour voir d’où venaient les débris. A l’intérieur du reliquaire, une fillette et un garçon de douze ans, plongés jusqu’à mi-corps dans la pourriture mortuaire, époussetaient les ossements et les passaient à une équipe de petits travailleurs des deux sexes qui les recevaient dévotieusement dans leurs tabliers, d’où ils les portaient devant l’église sur l’un des draps disposés à cet effet. Ils causaient à voix basse, mais n’avaient point l’air effrayé ni affligé et semblaient accomplir quelque chose de très simple et tout naturel. Tête nue, assis sur une tombe, son coupe-choux entre les jambes le représentant de l’autorité, le jugard -garde champêtre et solide chrétien- m’expliqua qu’il n’était là que pour la forme et qu’il n’avait point à intervenir dans la besogne singulière confiée aux enfants.’

-Nous croyons ici, me dit-il, qu’on ne doit toucher aux reliques qu’avec des mains pures de tout péché. Les enfants seuls ont assez d’innocence pour approcher les trépassés. Et si demain, à la procession, les grandes personnes portent des ossements, c’est qu’elles auront toutes communié le matin.

  Dans le reliquaire, tandis que le jugard faisait complaisamment son récit, les enfants, pareils aux abeilles virgiliennes, poussaient leur besogne purificatrice.

 (le sugard est le garde champêtre en breton moderne NDR).

Beaux yeux clairs, où le songe de l’au-delà ne mettait pas une ombre ! Les tabliers s’emplissaient et se vidaient à mesure et, devant l’église, les ossements posés sur les linceuls faisaient maintenant deux énormes tas réguliers. On eut dit l’entrée d’un palais barbare, un lendemain de grandes coutumes, dans quelque village du Soudan ou de la Guinée. L’état de délabrement des reliques corrigeait mal cette impression répugnante.

Vieux crânes jaunis, fracassés par des heurts lugubres, aux brumeux intérieurs tendus de toiles d’araignée , tibias, fémurs, péronés, os iliaques, tous les pauvres débris de la machine humaine étaient là, dépouillés de leur tendre épiderme, confondus et réconciliés. Les fossoyeurs travaillaient toujours contre le mur d’enceinte, des groupes circulaient entre les tombes, lavant les pierres, ratissant les allées, redressant les fleurs. Le vicaire passa et, me voyant en contemplation devant les deux pyramides funèbres :

-Hein ! me dit-il, si tous ceux que la mer n’a pas rendus étaient là ; N’empêche qu’avec ceux qui restent ça fait encore un beau catafalque. :

Et, comme je m’étonnais :

-Mais oui, me dit-il, c’était l’usage autrefois. Les ossements n’étaient point placés à l’entrée de l’église mais à l’intérieur, dans un catafalque fait exprès.

ils pouvaient tenir tous et dont on décorait symétriquement les extrémités avec des tibias et des crânes. Et il ajouta naïvement :

-J’ai vu ça, moi qui vous parle. C’était superbe !

L’affluence des fidèles attirés par la mission, l’exigüité de l’église, l’entrée en fonctions d’un recteur étranger à la paroisse, autant de causes qui avaient fâcheusement imposé cette dérogation à l’ordre établi… « 

Et le soir tomba, puis la nuit. Devant les reliques on posa des cierges allumés qui, à cause de la douceur de l’air, ne s’arrêtèrent pas de br1ller. La veillée mortuaire fut confiée à des marins du Rohou qui se relayaient près des ossements et faisaient le quart comme à bord.  Au matin on décora l’église de tentures noires. On disposa autour de l’ogive du grand portail une draperie de même couleur semée de larmes d’argent et surmontée d’une croix de lustrine. La messe basse, qui était la messe des communiants, se prolongea pIus que d’ordinaire et les autres cérémonies furent pareilles à celles qu’on célèbre le Jour des Morts. A quatre heures seulement, la procession sortit de l’église.

 En tête venaient les deux Franciscains, rigides et comme coulés d’une seule pièce dans leur robe de laine brune. Mais ils se séparèrent aussitôt du cortège et allèrent se poster des deux côtés du portail devant les ossements assemblés. La croix paroissiale, toute d’argent et de vermeil, portée à deux bras, prit la tête du cortège. Le clergé suivait en habit de deuil. L’officiant qui venait immédiatement après la croix, se pencha vers les reliques et dans le tas, choisit un crâne qu’il éleva au-dessus de lui en signe que la Translation commençait. Chacun des autres prêtres saisit un ossement.

Les quatre enfants de chœur, noirs et blancs, se penchèrent à leur tour et, derrière eux, la foule se partagea le reste des débris.

Je n’oublierai pas de longtemps la scène qui suivit. Chacun des fidèles se signait sur le front, sur les yeux et sur la bouche, avec l’ossement qu’il avait choisi. Dans ce pays de mer, où la houle des hauts fonds fait chaque jour quelque victime, les veuves semblaient les plus nombreuses. On les distinguait à leurs grands manteaux noirs, dont la cagoule rabaissée battait comme une aile sur  leur visage. Plusieurs tenaient des petits enfants par la main et, gauchement, les enfants portaient aussi quelque relique. Il était venu jusqu’à de vieux hommes infirmes, déjà marqués par la mort, bouches édentées, yeux noyés d’une boue sanglante ou voilés par la brume des agonies prochaines: Ceux-là, en vérité pouvaient se demander si le glas ne sonnait pas pour eux;

La procession tourna trois fois dans le cimetière et, au troisième tour, l’officiant s’arrêta devant la fosse. Il y déposa le premier l’ossement qu’il portait. Tous les assistants à sa suite se penchèrent et, doucement, avec des précautions infinies, ils laissèrent glisser les reliques après les avoir baisées. Et, quand le défilé fut achevé, l’officiant s’approcha de nouveau. Le clergé et les assistants firent cercle autour de lui. Il commença par asperger la fosse d’eau bénite ; puis il l’encensa aux quatre coin ; les chantres entonnèrent le Libera, suivi du Dies ire. Deux fois encore l’officiant bénit la fosse ; les hymnes reprirent le Requiem, le Pater et le Kyrie. Les reliques avaient comblé et au delà le grand trou creusé contre le mur d’enceinte et elles faisaient, ainsi gonflées hors du trou comme une marée d’ossements, une houle funèbre dont l’écume venait lécher les pieds des assistants. Les hymnes se turent, Alors, dans le silence soudainement élargi, un des Franciscains prit la parole en breton. Que dit-.il au juste ? J’étais trop loin pour l’entendre. Sans doute il dégagea la banale et terrible leçon qui sortait de ces reliques; il leur donna une voix et, par lui, ces bouches  ricanantes , ces mâchoires sans dents, ces orbites sans yeux, qui avaient été de tendres visages de belles filles, de rudes figures d’artisans et de pêcheurs crièrent vers les vivants la grande pitié des sépulcres.

 Toute l’assistance était tombée à genoux ; le glas roulait lourdement dans le soir. Les gestes du moine se découpaient sur la pourpre saignante d’un couchant d’orage. C’était, au bord de cette fosse infinie dans ce pays de deuil éternel, comme une évocation suprême de la mort toujours présente et haïssable en même temps qu’un nostalgique appel vers ses secrètes félicités…

Ce texte, relation d’us et coutumes trégastelloises d’un autre temps résume l’approche par Charles Le Goffic, du culte le plus célébré de la Bretagne, celui de la Mort. La Toussaint correspond à la fin de l’été pour les Celtes avec la fête de Samhain qui introduit les mois noirs de l’hiver (ar mizioù du). Pour ce Trégorrois, il n’est pas question d’être absent de Bretagne à cette période. Hélas en 1896 date de ce récit, il ne sait pas que sa famille devra en février 1932 vivre personnellement ce rituel puisque les reliques de sa fille Hervine, morte en 1919 seront relevées du cimetière de Lannion pour accompagner celles de son père à Trégastel à l’endroit même de cette cérémonie.