A la demande de Sites et patrimoine, l’Association pour la recherche et la sauvegarde des sites archéologiques du Trégor (ARSSAT) a bien voulu entreprendre la datation au carbone 14 des troncs de la forêt de la baie de Kerlavos à Trégastel.
Les tempêtes de l’hiver 2014 ont entrainé la résurgence de la forêt de chênes de la baie de Kerlavos qui visible en 1767 n’avait plus suscité d’intérêt par la suite sans doute à cause de son ensablement .
Aspect actuel de la baie de Kerlavos
Les premiers vestiges dégagés, il a été possible de faire des prélèvements valables et de proposer aux administrateurs de l’ARSSAT d’engager un processus de datation par le carbone 14 des troncs de chênes peu dégradés.
Morceau prélevé pour la datation
Un des troncs les mieux conservés mais vieux de 4300 ans.
L’équipe de l’ARSSAT établissant les relevés. Le tronc est posé sur la tourbe. L’épaisseur de sable est insignifiante. Le loess a disparu.
Cette datation permettrait de connaître la date du déracinement des troncs. Alignés en général nord-sud, les racines toujours existantes face à la terre et les branches tournées vers le large ils ont été précités vers le sol, probablement par un même phénomène. Nous retrouvons ces chênes déracinés de la Charente à la Normandie en général alignés dans leur chute. Depuis les tempêtes ont parfois perturbé cet ordre mais la tendance un parallélisme des troncs entre eux. Les Bretons ont d’ailleurs depuis des siècles tenter d’utiliser ces débris qu’ils appellent couérons (coat- raon : bois rompus)
L’excellent état de conservation des troncs les plus proches du rivage laissait présumer que la datation donnerait une valeur relativement récente.
Aussi la révélation de –2456 à-2201 avant JC a de quoi surprendre et remet en cause la théorie d’une montée inéluctable et constante des mers dans le Trégor depuis plus de 15 000 ans.
A Toul Bihan (Trégastel), ces arbres sont sur une tourbière aujourd’hui surmontée que par une dizaine de centimètres de sable. Cette tourbière s’étend de la baie de Sainte-Anne à Kerlavos. C’est à dire sous toutes les plages. On retrouve également ces chênes et cette configuration dans la baie de Kéraliès en Pleumeur-Bodou. Tous les stades de la dégradation de l’écorce en tourbe sont visibles dans toutes les baies.
En extrapolant on peut penser que la baie de Saint-Michel en grève, Tresmeur, et le Toëno (Trébeurden) présentaient la même tourbière liée à un ruisseau et une forêt comparable de petits chênes (leur taille ne dépasse pas 5 à 6 mètres à Kerlavos). Cette tourbière était sans doute protégée depuis des millénaires par un cordon dunaire de création éolienne.
On sait que l’époque des mégalithes sur la côte se situe vers -3000 à -2500 avant JC (datation de Chech quillié à Saint-Quay Perros)
Cela signifie que le paysage et le profil de la côte n’aurait pratiquement pas changé en 4300 ans et que nos mégalithes cotiers étaient sans doute plus proches de la mer qu’on le pensait.
Compte-tenu de la quantité de glace de la dernière glaciation s’étendant jusqu’à la Manche actuelle, la fonte est volumineuse au moins pendant 6000 ans. La mer se stabilise à -87m vers 15 000 ans avant de continuer sa progression avec des paliers qui durent de 500 à 1000 ans (ces paliers sont visibles sur le fond des mers). La mer se stabilise ensuite au niveau actuel, il y a environ 5000 ans avant notre ère, mais des variations de quelques mètres amènent des transgressions dans les littoraux de faible gradient.
Mais depuis 3000 ans avant notre ère, et ce, jusqu’au début du XIXème siècle, le niveau de la mer n’a pratiquement pas bougé, n’augmentant que de 0,1 à 0,2 millimètre par an. (Ces paramètres ont fortement augmenté jusqu’3 millimètres depuis le début de ce siècle mais cela ne concerne pas l’époque qui nous intéresse).
La mer atteint alors un cordon littoral que l’on retrouve sur toutes les cartes y compris celles de Cassini, c’est le zéro des marins (limite approximatives de basse mer des grandes marées actuelles).
Le plateau repéré sur les premières cartes d’Etat major et rapporté ici par Cassini (zone en pointillé)
Le cordon littoral délimite ainsi un plateau au gradient très faible. Ce cordon littoral semble avoir protégé par une dune la tourbière littorale envahie d’eau douce par endroit comme le Quellen de Trébeurden, configuration que l’on retrouve sur toute la Bretagne côtière derrière les dunes grises formées par le sable et le vent. (Ce nom est d’ailleurs commun à toute la Bretagne puisqu’il signifie vieil étang). On trouve d’ailleurs à Trégastel au Haren l’équivalent du Quellen de Trébeurden.
Par grandes tempêtes et grandes marées, la mer a érodé ces dunes et envahie progressivement le plateau littoral et sa forêt de chênes. La datation présente nous permet d’affirmer que cela s’est au moins produit il y a 2300 ans avant JC. Ensuite la mer a pu rester ou s’est retiré en partie mais les brèches ont favorisé désormais son retour.
Cela explique donc que dès -300 avant JC des bouilleurs de sel s’installent sur la côte à des endroits déjà proches de la mer. Cela confirme aussi qu’il utilise une forêt abondante à proximité pour chauffer leur four, la mer et le bois étant alors à moins de 500 mètres.
L’érosion actuelle présente un exemple d’arbre tombant de la micro falaise à Kerlavos, racines contre la terre
Cela n’enlève pas non plus le crédit d’une autre hypothèse qui voudrait que la mer se soit retirée par moment suivant les siècles. du . Elle a pu également être aussi plus élevée qu’aujourd’hui. A Kerlavos encore, la pêcherie du château (park ar gorastell) (XVème siècle) est en fond de baie comme le prouvent les digues encore existantes aujourd’hui. Des troncs verticaux cette fois devenus tourbe bordent les digues de la pêcherie prouvant que la violence de la mer s’arrête là à une certaine époque.
On peut aussi évoqué une catastrophe isolé comme un raz de marée unique qui fait parcourir à la mer plusieurs kilomètres et se retire ensuite. Cette hypothèse donnerait une orientation des arbres poussés vers la terre. Ce qui n’est pas le cas sauf en cas de déracinement peu probable par la vague de ressac.
Par contre, rien dans les deux hypothèses n’explique le recouvrement qui a permis leur conservation pendant des siècles. Cependant en partant de l’exemple de l’érosion en 2014 de la Grève rose voisine on constate que les clôtures et les haies ont disparu sous les matières arrachées à la dune. On peut penser, qu’il y a 4300 ans la chute de la mini falaise de loess (apporté pendant la glaciation) et de sable ont protégé les troncs. Aujourd’hui le loess a disparu entre la tourbe et le sable, mais il est bien là dans la micro falaise actuelle à proximité.
Micro falaise de loess
Cette datation devrait désormais servir de base aux réflexions sur la montée des eaux et peut-être apporter d’autres hypothèses sur ce phénomène qui concerne non seulement la Bretagne mais aussi la Normandie et la Charente. Il est certain que nos ancêtres ont toujours dû se prémunir contre la montée des eaux momentanée ou inéluctable. Enlever les digues qu’ils ont bâti à cet effet est une atteinte au patrimoine.